
Export Control & Sanctions Internationales : amende record à Guernesey pour ITI Trade Ltd
Date : 18 août 2025
Léa Ratel Bertrand Rager
Le 18 juillet 2025, la Commission des services financiers de Guernesey (GFSC) a prononcé une sanction d’un montant cumulé de 210 000 £ à l’encontre de ITI Trade Ltd et de son directeur, Alex Phil (anciennement Alexei Filatov). Une amende qui marque un tournant dans la supervision des obligations liées aux régimes de sanctions, et un rappel cinglant des risques liés à l’externalisation non maîtrisée dans des juridictions à haut risque.
Derrière la façade d’une société d’investissement enregistrée à Guernesey, ITI Trade opérait essentiellement comme un relais d’activités menées depuis la Russie – une pratique d’autant plus problématique que les sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie se sont considérablement renforcées depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022.
La GFSC a mis en lumière une multiplication des flux et des actifs gérés (+440 % au premier semestre 2022), dans un contexte de durcissement des régimes de sanctions internationaux. Ce gonflement rapide des opérations n’a pourtant pas suscité de réaction adaptée de la part des dirigeants d’ITI Trade, qui ont maintenu une structure de conformité largement fictive.
En conséquence, la société a cessé ses activités, et des administrateurs ont été nommés par la Cour Royale. La GFSC a souligné la gravité des manquements, notamment en raison du profil à haut risque de la clientèle et du manque de contrôles efficaces pour gérer ces risques
Manquements majeurs en matière de conformité et de sanctions
L’enquête de la Commission a révélé une série de défaillances systémiques, particulièrement en ce qui concerne les obligations liées à l’Export Control & Sanctions :
Aucun dispositif de screening fiable, notamment à l’encontre des ressortissants russes ou des personnes politiquement exposées (PEP) ;
Externalisation du contrôle des clients et des flux financiers à une société sœur russe, dans des conditions jugées « rudimentaires » et sans supervision efficace ;
Absence de cartographie des risques pays / clients, empêchant toute vision cohérente des expositions ;
Défaut d’identification des bénéficiaires effectifs pour plus de 75 % des actifs sous gestion (108 individus non identifiés).
Pire encore, le directeur a personnellement altéré un rapport de conformité destiné au régulateur, tentant de masquer l’ampleur des carences internes.
Le principe fondamental : la responsabilité ne se délègue pas
Ce cas illustre avec force un principe cardinal du droit des sanctions et du contrôle à l’export :
La responsabilité réglementaire ne peut jamais être totalement transférée.
Notamment lorsque certaines fonctions – comme le screening, le KYC ou la gestion client – sont externalisées, pour les autorités de contrôle, l’entreprise reste seule responsable de la conformité de l’ensemble du dispositif. Cela vaut pour les entreprises financières comme pour les industriels.
Un signal fort aux acteurs du commerce et de la finance
Cette amende record (même si son montant semble relativement symbolique au regard des infractions retenues et des volumes auxquelsil est fait référence) constitue un avertissement clair pour les institutions financières, les sociétés de courtage et les exportateurs :
Il ne suffit pas d’avoir une licence dans une juridiction réputée pour être en conformité.
Il faut démontrer une maîtrise réelle, locale, proactive des obligations en matière de Authority for Anti-Money Laundering and Countering the Financing of Terrorism (AMLA / LCB-FT) et de sanctions.
Les régimes de sanctions internationaux (RU, UE, US) imposent aujourd’hui des exigences élevées, qui ne souffrent aucun laxisme, même au sein de structures complexes ou réparties entre plusieurs pays.
Ce qu’il faut retenir : bonnes pratiques à adopter
Pour éviter les écueils de l’affaire ITI Trade, voici quelques bonnes pratiques essentielles à mettre en œuvre :
- Audit rigoureux des prestataires et entités liées, notamment dans les juridictions à risque ;
- Screening indépendant, vérifiable et documenté des clients et partenaires, en particulier ceux exposés à des sanctions ou des listes noires ;
- Supervision active des fonctions externalisées, avec contrats encadrant les responsabilités et mécanismes d’alerte ;
- Cartographie actualisée des risques, intégrant les évolutions géopolitiques et réglementaires ;
- Transparence totale vis-à-vis des autorités : dissimuler une faille aggrave la sanction, y compris pour les dirigeants personnellement.
L’affaire ITI Trade révèle un écueil fréquent dans les modèles transfrontaliers : confondre licence et légitimité, conformité de forme et conformité de fond.
Elle montre aussi que les régulateurs ne toléreront plus les montages opaques, les responsabilités floues, ni les contrôles de façade.
Dans un monde où les sanctions deviennent un outil majeur de politique internationale, toute entreprise opérant à l’international doit, pour réussir, faire de la conformité une priorité stratégique, au même titre que ses performances commerciales.