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Loi dite « de blocage » de 1968 : le bouclier contre les ingérences étrangères et les lois à portée extraterritoriale

Date : 8 juin 2023

Erwan Guerineau

Stagiaire

La loi dite « de blocage » de 1968[1], modernisée en 1980 et mise en application en 2022, permet aux entreprises françaises de contrer l’ingérence des autorités étrangères qui chercheraient à saisir des informations sensibles attentant aux intérêts de la Nation, y compris ses intérêts économiques essentiels, lors d’enquêtes.

 

Elle interdit notamment à des sociétés françaises de communiquer à des autorités publiques étrangères, des documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique, qui serait de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public[2].Elle oblige les autorités étrangères à respecter les voies de l’entraide judiciaire ou administrative internationale[3].

 

Toute violation de l’interdiction est sanctionnée[4] :

 

  • D’un emprisonnement de six mois ; et/ou
  • D’une amende de 18 000 euros.

 

  1. L’actualisation de la loi de 1968

 

Pour réagir à l’accroissement des ingérences étrangères en matière de données sensibles et à l’utilisation de lois à portée extraterritoriale, la loi de 1968 a fait l’objet d’un débat parlementaire et gouvernemental. A la suite d’un rapport parlementaire du 26 juin 2019[5] soulignant ses failles, le ministère de l’Économie et des finances a publié en 2022  un décret[6] et un arrêté d’application[7] visant à moderniser et perfectionner son dispositif.

 

Dans les faits, la loi ne permettait pas aux entreprises françaises de justifier, auprès des autorités judiciaires étrangères, l’absence de communication de documents au cours d’une instance transnationale. En effet, l’absence de mise en œuvre et la faiblesse des sanctions avaient discrédité cet instrument. Il fallait donc renforcer la protection des entreprises françaises face à des investigations judiciaires étrangères, en particulier provenant des Etats-Unis, en raison de la portée extraterritoriale des sanctions financières.

 

  • Concrètement, les textes dans leur nouvelle version permettent désormais aux entreprises françaises de s’adresser à une autorité unique, le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) de la Direction générale des Entreprises (DGE), en cas de demande de communication étrangère.

 

  • Leur nouvelle rédaction prévoit une obligation pour toute personne d’informer sans délai le SISSE lorsqu’elle se trouve saisie de toute demande de communication de pièces[8]. La personne concernée[9] doit ensuite constituer un dossier « dans les plus brefs délais » contenant des éléments d’identification de la société détentrice des données (n° RCS, organigramme, activités et concurrents) et les motifs de la demande de communication (coordonnées du requérant, échanges)[10].

 

 

  1. Les recommandations à l’égard des entreprises françaises

 

 

Le « Guide à usage des entreprises d’identification des données sensibles, visées à l’article 1er de la loi dite de blocage ou d’aiguillage »[11] a pour objectif d’accompagner les entreprises françaises dans l’identification des données « sensibles », et à préciser les démarches pour s’adresser au SISSE.

 

  1. L’identification des données sensibles

 

Le guide propose un raisonnement en trois étapes pour identifier les données sensibles, au titre de l’article 1er de la loi de 1968 :

 

  • Dans un premier temps, identifier une donnée de nature économique, commerciale, industrielle, financière, ou technique potentiellement sensible ;

 

  • Ensuite, identifier une donnée « sensible entreprise » : la sensibilité d’une donnée s’évalue au regard de sa confidentialité, sa disponibilité et son intégrité. Autrement dit, une donnée est dite « sensible » si sa divulgation, son indisponibilité ou son altération porterait préjudice à la société détentrice ;

 

  • Enfin, identifier une donnée « sensible souverain » : évaluer, grâce à un faisceau d’indices, le préjudice potentiel de la communication de la donnée et le caractère stratégique de l’entreprise. Le caractère stratégique d’une entreprise s’évalue en fonction de l’activité menée. Par exemple si celle-ci est liée au secteur de la Défense[12] ou est listée dans le Code monétaire et financier[13]. Des indices tels que l’indépendance de la société vis-à-vis des puissances étrangères, sa contribution à l’économie nationale et territoriale peuvent également être pris en compte.

 

  1. Les démarches auprès de la SISSE

 

S’agissant des démarches pour les entreprises françaises, le guide recommande de demander des conseils[14] auprès du SISSE, et ce, en-dehors de toute instance. Le service de la DGE sollicitera dans un second temps les ministères compétents. L’objectif de cette aide est d’inciter les sociétés françaises à s’informer suffisamment en amont pour être en conformité.

 

  • À la suite d’une telle démarche, le SISSE pourra évaluer les risques de la demande de communication de données sensible puis, conseiller l’entreprise pour se protéger face à une instance judiciaire étrangère. Le SISSE pourra, par exemple, verser au dossier la présentation de la loi de 1968 et, un avis juridique non contraignant sur son applicabilité. En dernier recours, le SISSE pourra solliciter par courrier l’aide d’un commissaire indépendant ou d’un agent diplomatique aux fins d’exécution d’acte d’instruction en France formulé par un juge étranger, afin de filtrer la communication de données.

 

  • Dans l’hypothèse de demandes de juridictions étrangères à des sociétés françaises, le SISSE est compétent pour solliciter directement le ministère de la Justice pour vérifier l’applicabilité de la Loi, et ainsi empêcher les entreprises de divulguer leurs données.

 

In fine, les modifications apportées en 2022 à la Loi de 1968 visent à renforcer l’arsenal législatif français contre les lois à portée extraterritoriale. Les entreprises françaises ont désormais une autorité administrative dédiée à la protection des données sensibles. L’actualisation de la Loi de 1968, quelque peu tombée en désuétude, traduit une volonté politique de retour de l’État stratège, dans un monde marqué par l’utilisation du Droit comme une arme de guerre économique.

 

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Paris

le 01/06/2023

 


 

[1] Loi n° 68-678 du 26 juillet 1968

 

[2] Article 1 de la Loi n° 68-678 du 26 juillet 1968

 

[3] Article 1bis de la Loi n° 68-678 du 26 juillet 1968

 

[4] Article 3 de la Loi n° 68-678 du 26 juillet 1968

 

[5] Gauvain, R., Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, Rapport à la demande du Premier Ministre Monsieur Edouard Philippe, Assemblée nationale, juin 2019, 102 p

 

[6] Décret n°2022-207 du 18 février 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères

 

[7] Arrêté du 07 mars 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères

[8] Article 2 du Décret n° 2022-207 du 18 février 2022

 

[9] Dirigeant, représentant, agent ou préposé de la personne morale

 

[10] Article 1 de l’Arrêté du 7 mars 2022

 

[11] Rédaction conjointe de l’AFEP/MEDEF et du SISSE (en ligne)

 

[12] Article R1332-2 du Code de la défense

 

[13] Article R151-3 du Code monétaire et financier

 

[14] Guichet unique pour le SISSE : loi.deblocage@finances.gouv.fr